2011 — 2014

Voyage en Afrique Noire

Des mirages posés sur la réalité

Mohammed Mourabiti écoute le frémissement des arbres qu’il a plantés de ses mains. Son atelier est couvert vers les quatre directions de l’horizon. Car, d’où viendraient les messages que le peintre attend et la manne qui doit conforter sa toile ? La couleur fait ses allers et retours, elle vagabonde comme l’air du temps. Les traits s’offrent des contrastes et les aplats des oppositions, car dans les mondes d’aujourd’hui, qui vit de certitudes ? Pas l’art bien sûr. Il se cache, il se préserve, il s’abrite avec ses fantasmes et ses hallucinations, là où Mourabiti doit les traquer.

Chaque toile est une exploration des plis de l’infini. Des chimères se calfeutrent sous un relief que le peintre a appris à lever. La toile, longtemps silencieuse ou dans l’expectative, s’anime. Vers la forme qui s’épuise accourt une nouvelle matrice qui oriente la création vers son autre chemin. Le graphisme coule et se déroule comme un labyrinthe que les limites d’un jardin interdit endiguent. Les bandes étroites, verticales, horizontales, se glissent entre les murs des aplats, guident les dépaysements, les transmutations et les accouplements de l’apparence et de ce qui serait inavouable.

Il y a la pertinence de ces lieux qui ressurgissent, se faufilent, inscrivent dans ses peintures des souffles têtus. Les familiers retrouvent au fil des ans le rappel des formes, des courbes tirées par le peintre des lieux improbables qu’il a visités. Il émane des formes de ces coupoles, de ces dômes, une spiritualité entêtante. Une esthétique imprégnée d’un idéal où la nébulosité de la représentation se confond avec l’émotion du cœur.

Ce mouvement pictural refuse la complaisance et les artifices. La réalité et l’imaginaire s’y structurent à force de travail. Le dialogue qui s’établit reconnait les conventions et les convulsions du présent et leurs transcendances spirituelles. La brosse du peintre intervient, poursuit, arpente ou tacle les complaisances comme les artifices. Mais que traquent les grands aplats de Mourabiti, sinon la vie et les contorsions qui font jaillir, ça et là, l’espoir d’un renouveau? Le noir, le gris, les bleus qui hésitent, les bruns qui se tempèrent, recouvrent ou accompagnent les nuits blanches de nos existences.

La spiritualité et la sensualité sont dans les tableaux de Mourabiti. La forme y éclate. Les passions et la couleur dédaignent les théories existentielles et restituent en touches brutales ou tragiques, les sensations. Des palettes chromatiques et des éventails chromatiques, dont Mourabiti, a le secret.

Car si Mourabiti affirme la puissance et la liberté de création, remet en question la notion classique de représentation, son interprétation reconnaît le monde sensible et la vision singulière dont il élargit les apparences.

Il peint, mais toile après toile, il nous transporte dans l’espace où il peuple les terres de nos illusions. Mourabiti invente et nous offre un regard lavé des conventions. Cette purification du regard ne s’obtient qu’au prix d’un affrontement répété avec la réalité. Une lutte passionnelle, incessante entre la toile et le peintre. Un combat qui se poursuit avec les protagonistes à qui est ouvert et offert un monde nouveau et sa virginité première : « Je n’éprouve la sensation qu’en entrant dans le tableau, en accédant à l’unité du sentant et du senti. La couleur est dans le corps, la sensation est dans le corps, et non dans les airs. La sensation, c’est ce qui est peint. Ce qui est peint dans le tableau… » disait Cézanne

Et l’œil qui perçoit, que découvre-t-il dans les foisonnements emblématiques que Mourabiti abandonne sur la toile ? Des signes plastiques que le peintre isole, valorise et enferme dans les espaces où s’interpellent les évidences distantes ou proches. Une écriture du désir, une théorie de signes élémentaires qui se déploient, ouvrent des dialogues et invitent aux festins intellectuels et aux ébranlements des esprits et des cœurs.

L’objectivité et la figuration se ressourcent chez Mourabiti dans une chorégraphie inépuisable. Avec le dessin avance l’idée, elle lance des invitations, se construit des enjeux, implique des légitimités sans hiérarchies ni tendances officielles à la recherche les eldorados plastiques à offrir.

Monumentale ou spectaculaire, l’œuvre de Mourabiti offre ce dédoublement que Matisse qualifiait comme « La satisfaction profonde, le repos et le plaisir le plus pur de l’esprit comblé» ; des œuvres pleines et fluides, rayonnantes et quiètes, réfléchies jusqu’à donner le sentiment d’un mirage posé sur la réalité.

Comment nommer ce secret, ce sentiment inclassable, ce spectre familier, intense et mystérieux qui s’apparente chez Mourabiti, à une attente joyeuse et comblée ?

* Maurice Arama  

Historien d’art et membre de l’AICA

(Association Internationale des Critiques d’Art)