Peut-on interroger la vérité en peinture ?
Il semble, en tout cas, que le désir qui anime le peintre Mourabiti, soit lié à cette question.
Lorsque je l‘ai rencontré en 2005, au cours d‘une résidence autour de Michel Butor à l‘Institut Français de Marrakech, l‘objet qui mobilisait son attention était la parabole, en peinture, bien entendu.
Avec ses crayons de couleur, il traçait des traits, des fils qui l‘entraînaient le long du papier parsemé de paraboles comme les toits et balcons de Marrakech et de toutes les villes. Les pinceaux et brosses virevoltaient, dansaient presque sur la surface de la toile dans une improvisation que le poignet, habile, libérait en circonvolutions et saccades retenues, jusqu‘à l‘émotion. Car c‘est tout le corps qui, par sa peinture devient en quelque sorte, parabole lui-même:
Mourabiti.
Une partie, très serrée en effet, se joue, contre la parabole, sur la surface même de la toile, par la peinture, dans sa mise en œuvre.
Ces paraboles tournées en quelque sorte vers l‘Autre, le grand ; offertes à capter une parole venue du ciel pour la transmettre à ces boîtes qui construisent notre réalité et nos histoires : télévision dans tous les foyers, là où ça parle pour tout le monde. Morabiti met en scène ce trafic dans le procès de la peinture.
L‘information, s‘y perd dans tous ses fils, il la tord jusqu‘à la dernière goutte, souvent rouge au cœur d‘une pluie blanche et grise. Il trace, file, vide jusqu‘à perdre, un énoncé qui n‘émerge pas lui-même. Mais ce faisant, que nous propose t-il ? L‘effacement du peintre lui-même?
Peut-être...
C‘est avec la parabole qu‘il rivalise en effet.
Sa peinture, au-delà de la virtuosité, subtile, traits et couleurs justes, ironiques et beaux, c‘est un bout de vérité qu‘elle emporte. Par cette traversée du peintre, par sa peinture. Parabole picturale.
Dans les toiles récentes, on peut voir apparaître dans des tonalités souvent blanches, des amas localisés de matières collées, amalgamées dont il nous faut livrer la petite histoire d‘atelier. Le peintre au fil de ses lectures de journaux ou autres magazines d‘information dépose dans un seau de colle les morceaux déchirés du papier de ces médias. Ainsi demeure à sa disposition une matière, amalgame symbolique, compost d‘écrits prêts pour le traitement que va leur faire subir Mourabiti après les avoir lui-même lus ; c‘est à dire après qu‘ils soient passés déjà par quoi, par où?
Nous voilà parvenus au cœur de cette question de la vérité.
Mourabiti interroge la croyance qui l‘habite. Il sait qu‘il ne peut entretenir un lien avec la vérité qu‘en peignant sans cesse cette parabole, sorte de lieu d‘usage et d‘usure ou de recyclage permanent de ce qui vient ou semble venir de l‘Autre. Le brouhaha du monde, celui de Marrakech, Mourabiti s‘en écarte pour l‘appeler dans ses fils de peinture et le suspendre en petits sacs qui s‘égouttent patiemment sur la surface de la toile. Et puis ces fils se mutent en frontières, ils séparent des territoires. Les surfaces de matière, d‘écrits encollés s‘étalent à l‘intérieur des frontières ou les constituent elles-mêmes. C‘est que voilà, la géométrie est là quand même, qui organise l‘histoire, dans le dessous de la matière et de la couleur, et constitue le second terme d‘une tension. Entre trait et surface, entre fil et territoire s‘installe cette tension.
La quête de vérité en peinture peut-elle produire ou rencontrer la beauté?
Des moments de rencontre se produisent. C‘est le processus d‘élaboration pictural lui-même qui produit cette scène à deux personnages : beauté et vérité. C‘est une réalité de la peinture de Mohamed Mourabiti.
Mais sont-ils vraiment deux ces personnages ? Il est difficile de répondre à cette question avec certitude.
La parabole, dans le tableau, ne cesse pas de ne pas répondre à cette question, tant chaque personnage semble alternativement émerger de l‘autre.
Il existe pourtant des moments, furtifs, instables, ceux d‘un effet de rencontre, qui fixeraient presque pour nous le sentiment d‘une peinture vraie et belle à la fois.
Mourabiti quoiqu‘il en soit met en scène et alimente le débat par sa peinture même qui en est le corps.
A la fois témoin et acteur, il est traversé par le trait qu‘il trace.
Il s‘arrête à chaque fois que son travail de bâtisseur l‘appelle. Car le peintre, quand il ne peint pas, construit des lieux d‘accueil et de travail pour d‘autres que lui.
Un autre territoire, dont il a besoin, dit-il et qu‘il place dans la continuité du premier.
Accueil toujours, ouverture à l‘autre ; contemplation que ces deux ouvrages conjointement structurent et entretiennent.
Philippe Bera
Conseiller en arts plastiques à la Drac d‘Amiens
Ministère de la culture