Une chance. Un bonheur. Au cours du mois de novembre dernier j’ai accompagné ma belle sœur et mon neveu et son épouse au cours d’un voyage à Marrakech. Et à partir de là, j’ai tenu à leur faire visiter le Maquam, cette étape ou, en jouant sur les mots, une station parmi ces stations propres à la méditation mystique.
Peut-être cela n’est il pas si innocent que cela et qu’il y aurait un certain rapport avec ce qui va s’ensuivre au cours de cette visite. A peine arrivés, accueillis par l’homme de confiance Si Abderrahmane, qui assume la responsabilité des lieux, durant l’absence de Mourabiti ou de son frère, l’alerte a été donnée… Plus simplement, Mohammed Mourabiti, informé de notre arrivée, allait aussitôt, de la Maison des Arts à Paris où il effectue un stage, donner des instructions pour qu’on nous ouvre et qu’on nous accueille dans sa belle demeure comme s’il était présent parmi nous… Le geste d’une amitié chaleureuse, constante, affirmée en tant d’occasions et qui évidemment ne pouvait manquer de me toucher une fois de plus. Et particulièrement, cet accueil, d’amitié, même en son absence, allait me permettre de vivre une belle et singulière expérience. Et d’abord cette belle demeure qui est son œuvre, le fruit de sa vision, aussi bien du point de vue de l’architecture que par l’agencement de l’ensemble ou de l’ameublement proprement dit. Les objets nombreux, disposés ça et là signent par leur présence, la particulière sensibilité esthétique de Mohammed Mourabiti qui s’affirme, dans ses choix, dans la sûreté de son regard. Fait révélateur, et qui déjà témoigne d’une certaine filiation, ces objets, comme par exemple ces magnifiques poteries de terre nue, sont sorties des mains d’authentiques artistes qu’il est de coutume de désigner en termes d’artisans, privés qu’ils seraient de la dignité accordée aux artistes, peintres, sculpteurs, céramistes. Et chose remarquable qui nous met dans la proximité de la peinture, et donc maintenant devant les toiles de Mourabiti, ces formes belles, non pas dans l’abstrait ou par le recours à toute décoration, elles le sont par la matière, dans sa pureté première dont la main de l’homme a su délivrer le message de beauté qu’elle recèle, dans le secret inviolable de ses profondeurs. Mais ce, juste l’instant éphémère, fugitif de la création esthétique… Mais la singularité rare et presque unique de cette expérience est encore à venir. Le moment où le regard est cerné, assiégé partout où qu’il se pose, par les toiles récentes pour la plupart et ce n’est pas seulement dans l’atelier auquel nous avons eu accès que l’œuvre parle. L’atelier, lieu par excellence où se fait la rencontre, le vis-à-vis avec l’artiste, les premiers pas de connaissance et de reconnaissance, l’échange de paroles, le désir d’assurer une participation, tant il est vrai que le regard du spectateur n’est pas passif, déjà animé qu’il est d’un certain plaisir recherché, une quasi jouissance spécifique qui le conforte dans son intérêt, ses affinités…Mais je voudrais ajouter qu’il y en plus de toutes ces considérations, il y a un non-dit là, qui, par définition ne saurait s’expliquer, et qui serait en quelque sorte le noyau germinatif de cette relation qu’on noue avec une toile, une sorte de nébuleuse riche d’étoiles où le corps tient le rôle essentiel. On aura compris que c’est tout l’espace de cette demeure qui se présente à nous comme un atelier sans cloisons. Quand de nouveau le téléphone a sonné et que j’entendais la voix de Mourabiti s’inquiétant de savoir si tout s’était bien passé, spontanément, sur le champ je lui ai dit mon admiration pour son travail…
Encore une fois je ne voudrais pas me redire en affirmant la difficulté rédhibitoire ou presque de parler peinture. L’intensité, le poids de cette saturation, cette présence des toiles partout où se pose le regard, nourrit un désir affirmé: celui de garder le silence, un mot en trop gâcherait notre plaisir, sa lente maturation. Faut-il maintenant se justifier, en quelque manière pour ne pas encourir le reproche de céder à l’excès, à l’emportement du moment, à un regard bien subjectif, en raison de mes relations d’amitié avec Mourabiti.
Dire cela c’est tout simplement oublier que la peinture, dans son authenticité s’impose d’elle-même et par elle-même dans l’absolu. Je crois pouvoir dire que Mourabiti s’est maintenant investi profondément et complètement dans la peinture et de ce désir, cette volonté, le stage à la Maison des Arts à Paris en est un des signes.
On peut dire que par rapport aux travaux, réalisés autour des années 2006 et qui furent l’objet d’une exposition, un grand pas décisif a été franchi. Non pas que ces œuvres fussent mauvaises. Loin de là. Elles traduisent plutôt une période de recherches dont l’aboutissement est ce qui se donne à voir maintenant. Dans les grandes toiles que j’ai pu voir, la vision de Mourabiti s’est affirmé dans le champ qu’elle a déterminé. Une patiente et diverse exploration des valeurs esthétiques et poétiques de la matière. La transparence, la blancheur comme tonalité dominante, symbolique de pureté, d’une certaine ascèse et pourquoi ne pas penser à une lointaine imprégnation du soufisme (le blanc de la laine). Mais pour autant les formes qui lui sont chères, constantes comme, par exemple, les cercles, les sphères ou ce qui s’en rapproche n’auront pas disparu et s’intègrent parfaitement dans ces toiles présentes. Il m’est venu à l’esprit, et ce n’est pas une fantaisie gratuite, que les Jbilets sont entrés dans la peinture de Mourabiti d’une manière ou d’une autre. L’éventail des variations autour des formes arrondies des jbilets justifie cette entrée ; c’est encore la matière qui intervient comme mémoire, comme vécu du regard et du corps en sa totalité. Ce n’est là qu’une approche des récents travaux de Mourabiti ; il faut le tenir à l’œil, pour ainsi dire, et ne pas passer trop vite ou sans retour. Klee donnait deux conseils à qui voudrait voir de la peinture. Prendre une chaise et laisser l’œil suivre ça et là les chemins tracés par le peintre dans ses toiles. Chose faite ! J’attends avec impatience la consécration à venir au cours de cette exposition
Edmond Amran El Maleh