C’est dans la distance que Mohamed Mourabiti peut être bien saisi, après une succession de rencontres avec les toiles, l’homme, son lieu. Sans doute parce que la nature même de sa peinture induit la notion de secret, de silence, de patience. Comme si le langage s’affirmait dans un chuchotement continu, à mi voix, loin du spectaculaire.
Appelons paysages les toiles ou dessins, les encres, qui sont des états de l’âme, des évocations aussi de la ville de Marrakech, comme de la lumière omniprésente. Paysages dans lesquels la déambulation provoque un voyage dans les profondeurs d’une sensibilité révélant émotions et désirs. Emotions et désirs, reliés à son histoire individuelle, communicable grâce à un langage personnel, sans emphase, où les compositions très graphiques, au rythme libre, utilisent la couleur avec raffinement. Les formes et la couleur font écho à une mémoire ancienne qui habite l’artiste autant qu’à sa perception vivace du monde qui l’entoure. Le travail de l’artiste met en résonance cette double appartenance. Il confère à l’œuvre très originale une singularité que le visiteur a envie d’interroger.
Tout d’abord l’omniprésence du blanc, comme un linceul ou comme un vêtement de purification. Une neige qui serait tombée sur les salissures du monde pour le rendre à une pureté originelle. Une représentation de la lumière: l’éclat de l’aile de l’ange annonciateur des Messies. Tant de blancheur imprimée sur la rétine de l’homme de Marrakech, dans ses pérégrinations, dans les étés flamboyants de la ville, même à l’intérieur des cours blanchies à la chaux. Le blanc des deuils, le blanc des saints pèlerinages, le blanc des absences et de l’oubli. Kandinsky ne dit-il pas « Le blanc agit sur notre âme comme le silence absolu ». Nous sommes conviés à une plongée dans le blanc, référence universelle dont le soufisme explore la lumière. Il n’est pas anodin que Mourabiti ait choisi instinctivement de célébrer le blanc, clarté et silence, manière pour lui de faire oraison.
La couleur n’est pas utilisée de manière arbitraire, bien au contraire, ni les matériaux. La suite d’Encres sur papier des Carnets parisiens est traitée dans un esprit d’allégresse où les rouges, les bleus, les verts, concentrés ou délavés alternent avec des masses ou ombres noires qui accentuent leur éclat, en rehaussent la finesse.
Les gris de la série « Soleil noir », alliance du blanc et du noir où les architectures archétypales s’inscrivent en douceur, avec l’intrusion du jaune, du rouge, lueurs de soleils couchants, lyrisme bridé par la contrainte d’une nouvelle harmonie de gris. Au dessus de chaque toile, ou presque, une bande d’horizon parfois réduite à un espace infime, une trouée, désigne un au-delà de l’espace circonscrit.
Coloriste, Mourabiti l’est d’instinct. Il sait comment transformer l’espace du silence en espace du bruissement en accumulant des papiers déchirés aux couleurs d’autant plus vives qu’elles doivent inscrire une musicalité, des échos sonores venus d’ailleurs, informations transformées en matériaux propices à une autre communication, visuelle et charnelle.
Des procédés simples, presque humbles et si efficaces car justes, répondant à une vérité de l’être engagé. Le langage de Mohamed Mourabiti est fidèle à des formes qu’il repère dans son inconscient comme dans son environnement. Nous parlions de mise en résonance des deux lieux d’où émergent les figures répétées, modifiées, réinterprétées, selon son humeur et surtout l’évolution de sa réflexion et de son regard sur lui-même et le monde.
La coupole est inscrite dans l’histoire de l’art depuis l’antiquité et elle fait partie des architectures qui ponctuent les villes marocaines. La kouba, mausolée abritant le tombeau d’un saint devient ici autant symbole d’une aspiration à la spiritualité que forme esthétique réinvestie par l’artiste contemporain.
L’apparition dans sa géométrie, auprès des koubas, de rectangles s’apparentant à des pierres tombales relève de cette introspection, de l’interrogation constante. L’artiste se relie à une mémoire dont il fait l’inventaire, ce qui l’amène aussi à comptabiliser la perte. Le silence du grand sommeil est peuplé par le souvenir de la vie des êtres aimés, disparus. Ils prennent place dans les paysages architecturés, apportent du sens à une géométrie concrétisant la place des émotions dans la pensée en action à travers la peinture. Pensée en action qui modifie les points de vue, commande une touche de couleur qui va modifier l’impression qui se dégagera du tableau, apportera une échappatoire à l’enfermement dans la douleur ou au contraire renverra à une méditation solitaire.
La grande force de Mourabiti c’est sa liberté et sa vérité qu’il dévoile avec une simplicité et une fraîcheur rares mais sans naïveté. Il a trouvé une voie intime pour dire son interrogation sur le sens de la vie et de la mort et son goût pour la vie. Loin des recherches mortifères, il retient la beauté comme la précarité des instants parfaits. Il installe ses suites, ses harmonies, une musique pour traverser les jours, les nuits de l’âme aussi, mais loin du désespoir et du chaos.
Nicole de Pontcharra