Texte
Philippe Bera
Peut-on interroger la vérité en peinture ?
Il semble, en tout cas, que le désir qui anime le peintre Mourabiti, soit lié à cette question.
Lorsque je l‘ai rencontré en 2005, au cours d‘une résidence autour de Michel Butor à l‘Institut Français de Marrakech, l‘objet qui mobilisait son attention était la parabole, en peinture, bien entendu.
Avec ses crayons de couleur, il traçait des traits, des fils qui l‘entraînaient le long du papier parsemé de paraboles comme les toits et balcons de Marrakech et de toutes les villes. Les pinceaux et brosses virevoltaient, dansaient presque sur la surface de la toile dans une improvisation que le poignet, habile, libérait en circonvolutions et saccades retenues, jusqu‘à l‘émotion. Car c‘est tout le corps qui, par sa peinture devient en quelque sorte, parabole lui-même:
Mourabiti.
Une partie, très serrée en effet, se joue, contre la parabole, sur la surface même de la toile, par la peinture, dans sa mise en œuvre.
Ces paraboles tournées en quelque sorte vers l‘Autre, le grand ; offertes à capter une parole venue du ciel pour la transmettre à ces boîtes qui construisent notre réalité et nos histoires : télévision dans tous les foyers, là où ça parle pour tout le monde. Morabiti met en scène ce trafic dans le procès de la peinture.
L‘information, s‘y perd dans tous ses fils, il la tord jusqu‘à la dernière goutte, souvent rouge au cœur d‘une pluie blanche et grise. Il trace, file, vide jusqu‘à perdre, un énoncé qui n‘émerge pas lui-même. Mais ce faisant, que nous propose t-il ? L‘effacement du peintre lui-même?
Peut-être...
C‘est avec la parabole qu‘il rivalise en effet.
Sa peinture, au-delà de la virtuosité, subtile, traits et couleurs justes, ironiques et beaux, c‘est un bout de vérité qu‘elle emporte. Par cette traversée du peintre, par sa peinture. Parabole picturale.
Dans les toiles récentes, on peut voir apparaître dans des tonalités souvent blanches, des amas localisés de matières collées, amalgamées dont il nous faut livrer la petite histoire d‘atelier. Le peintre au fil de ses lectures de journaux ou autres magazines d‘information dépose dans un seau de colle les morceaux déchirés du papier de ces médias. Ainsi demeure à sa disposition une matière, amalgame symbolique, compost d‘écrits prêts pour le traitement que va leur faire subir Mourabiti après les avoir lui-même lus ; c‘est à dire après qu‘ils soient passés déjà par quoi, par où?
Nous voilà parvenus au cœur de cette question de la vérité.
Mourabiti interroge la croyance qui l‘habite. Il sait qu‘il ne peut entretenir un lien avec la vérité qu‘en peignant sans cesse cette parabole, sorte de lieu d‘usage et d‘usure ou de recyclage permanent de ce qui vient ou semble venir de l‘Autre. Le brouhaha du monde, celui de Marrakech, Mourabiti s‘en écarte pour l‘appeler dans ses fils de peinture et le suspendre en petits sacs qui s‘égouttent patiemment sur la surface de la toile. Et puis ces fils se mutent en frontières, ils séparent des territoires. Les surfaces de matière, d‘écrits encollés s‘étalent à l‘intérieur des frontières ou les constituent elles-mêmes. C‘est que voilà, la géométrie est là quand même, qui organise l‘histoire, dans le dessous de la matière et de la couleur, et constitue le second terme d‘une tension. Entre trait et surface, entre fil et territoire s‘installe cette tension.
La quête de vérité en peinture peut-elle produire ou rencontrer la beauté?
Des moments de rencontre se produisent. C‘est le processus d‘élaboration pictural lui-même qui produit cette scène à deux personnages : beauté et vérité. C‘est une réalité de la peinture de Mohamed Mourabiti.
Mais sont-ils vraiment deux ces personnages ? Il est difficile de répondre à cette question avec certitude.
La parabole, dans le tableau, ne cesse pas de ne pas répondre à cette question, tant chaque personnage semble alternativement émerger de l‘autre.
Il existe pourtant des moments, furtifs, instables, ceux d‘un effet de rencontre, qui fixeraient presque pour nous le sentiment d‘une peinture vraie et belle à la fois.
Mourabiti quoiqu‘il en soit met en scène et alimente le débat par sa peinture même qui en est le corps.
A la fois témoin et acteur, il est traversé par le trait qu‘il trace.
Il s‘arrête à chaque fois que son travail de bâtisseur l‘appelle. Car le peintre, quand il ne peint pas, construit des lieux d‘accueil et de travail pour d‘autres que lui.
Un autre territoire, dont il a besoin, dit-il et qu‘il place dans la continuité du premier.
Accueil toujours, ouverture à l‘autre ; contemplation que ces deux ouvrages conjointement structurent et entretiennent.
Philippe Bera
Conseiller en arts plastiques à la Drac d‘Amiens
Ministère de la culture
Can we question the truth in painting?
It seems, in any case, that the desire that drives the painter Mourabiti is related to this issue.
When I met him in 2005 during a residency with Michel Butor at the French Institute of Marrakech, the object that was mobilizing his attention was the dish antenna, (in painting, of course).
With crayons, he traced lines, threads that dragged him along the paper dotted with dish antennas like the roofs and balconies of Marrakech and all the cities. The various brushes twirling, almost dancing on the surface of the canvas in an improvisation that the skilful wrist let free in withholding twists and turns and jerks to reach emotion. For it is the whole body, that, through its painting, becomes somehow dish antenna itself: Mourabiti.
As a matter of fact a very tight game comes into play against the dish antenna, on the very surface of the canvas by painting, in its implementation.
These dish antennas somehow turned towards the Other, the great; offered to pick up a word from the sky to pass it on to those boxes that build our reality and our stories: television in every home, where it speaks for everyone. Morabiti stages this traffic in the process of painting.
The information gets lost in all his threads ; he wrings it to its very last drop, often red at the heart of a white and gray rain. He traces, files, vacuums up to losing a statement that does not emerge. But in doing so, what does he tell us? The retiring of the painter himself?
Maybe ...
It is with the « parable- dish antenna » that he competes indeed.
His painting, beyond virtuosity, subtle, lines and colors precise , ironic and beautiful ; it is a piece of truth that prevails. By this crossing of the painter, by his painting. Pictorial « Parable ».
In recent works, we can see in often white tones, clusters of glued matter, amalgamated materials, of which we must reveal the workshop history anecdote. Throughout his readings of newspapers or other news magazines the painter put in a bucket of glue torn pieces of paper of these media. Thus, remained available material, symbolic amalgam of writings, compost ready for the treatment that Mourabiti will make them suffer after he himself had read them; that is, after they have already gone through what, where?
Here we come to the heart of the question of truth. Mourabiti questions the belief that inhabits him.
He knows that the only way to maintain a link with the truth is by continually painting this « parable- dish antenna », sort of place of use and wear or permanent recycling of what comes or seems to come from the Other. The hubbub of the world, that of Marrakech, Mourabiti gets away from it to call it back with his painting threads and to hang it in small bags dripping patiently on the surface of the canvas. Then these treads will mutate into borders separating territories. The surfaces of matter, of glued writings, spread within borders or constitute borders themselves. The point is that the geometry is there all the same, which organizes the story underside of the matter and the color, and is the second term of a tension. Between line and surface, between thread and territory, lies the tension.
Could the quest for truth, in painting, produce or meet beauty?
Moments of encounter occur. This is the pictorial development process itself that produces this scene with two characters: beauty and truth. It is a reality of the painting of Mohamed Mourabiti.
But are they really two, these characters? It is difficult to answer this question with certainty.
The « parable- dish antenna » in the painting, does not cease to not answer that question, as each character seems alternately to emerge from the other.
But there are furtive, unstable times, those rising out of a meeting, which would almost set for us the feeling of a painting that is true and beautiful at the same time.
However, Mourabiti portrays and feeds the debate with his paintings which in turn embody it.
Both witness and actor, he is crossed by the line he draws.
He stops whenever his work as a builder calls him. For, when he is not painting, the painter builds venues and workshops for others than himself.
Another territory he needs, he says, and he considers as a continuation of the first.
Home always open to the others; contemplation that these two works together maintain and structure.
Philippe Bera
Arts consultant plastic Drac d‘Amiens
Ministry of Culture