Texte
Edmond Amran EL Maleh
Tahanaout. Al Maqam. C’est bien un lieu qui ne cesse de s’affirmer et déborde de partout en mille choses. Encore une occasion de s’en assurer. Tandis que tous les matins Mahi Binebine arrive de Marrakech pour s’enfermer dans son vaste atelier logé sous l’aile tutélaire de ce maqam, le maître des lieux, un sage dirait-on, met la main sans fièvre ni agitation aux derniers préparatifs de l’exposition qui doit se tenir au cours de ce mois à Dar Chrifa. Il n’est pas indifférent qu’il s’agisse là d’une demeure traditionnelle et non d’une galerie ordinaire.
Nous sommes deux à être les hôtes de notre ami Mourabiti, Khalil El Ghrib et moi. Entrecroisement de trois regards fort différents sur un travail qui s’annonce important, sinon même considérable. Cela pourrait donner lieu à un jeu passionnant entre parole dite, écrite ou le silence qui est autre chose que le refus de parler et porte en gestation les linéaments d’une certaine pensée de ce qui se donne à voir. Il faut dire que l’enjeu de ce travail longuement mûri est de taille.
C’est sous le signe d’Ibn Arabi, Cheikh Al akbar. Qu’on soit bien convaincu comme j’ai pu l’être au cours de nombreuses conversations avec Mourabiti qu’il ne s’agit nullement d’un effet de mode, le soufisme étant en passe de devenir une enseigne alléchante souvent sous l’habit non pas de la « kharka » mais d’un discours prétendument savant. Et précisément comme il n’est pas question de se saisir de ce regard comme prétexte, on est confronté à une situation des plus complexes et qui suscite bien d’interrogations ; il est important de préciser un certain nombre de choses.
Bien qu’il en ait une certaine connaissance, Mourabiti n’est pas un lecteur éprouvé des œuvres d’Ibn Arabi. Il y a là quelque chose de l’ordre du vécu, une imprégnation dont il est difficile de cerner les contours. Nous en avons longuement parlé ensemble. Je crois pouvoir dire qu’il trouve dans cette mouvance du soufisme le signe d’une totale liberté, si important pour son travail de peintre, une libération de toute contrainte même y compris dans l’ordre de la croyance religieuse.
Le socle populaire du soufisme marqué par tant de maîtres spirituels à travers les âges en notre pays intègre des composantes de liberté, d’ouverture du regard tourné vers le nouveau. On est là dans la proximité quasi intime de Mourabiti. L’on comprend comment s’est manifesté ce désir bien avant de se rendre à Damas, sans qu’il soit possible de tracer le périple qui a abouti à l’œuvre présente devant nous. Au risque de me tromper, de faire fausse route, je pense que Mourabiti, dans sa ferveur, a voulu édifier un tombeau en hommage à Ibn Arabi au sens vrai du mot : édifier un tombeau idéal, virtuel, dont toutes ses toiles constituent la tentative recommencée, parce qu’il y a en ces travaux comme des linéaments d’architecture. Une fièvre d’architecte ou presque. A Damas même, au pied de sa déception, il accumule les ébauches de ses tableaux futurs de formats variés et qu’ensuite il développe et amplifie selon la même modalité une fois revenu à Tahanaout. C’est un défi qu’il s’est lancé qui ouvre sur nombre d’interrogations sur le terrain même de la création artistique et qui en tout état de cause se refuse à toute conclusion.
Edmond Amran EL Maleh
Al Maqam at Tahanaout is a venue that never stops from being established and gleaming with thousand of wonders. It is one more opportunity to get reassured. Whereas Mahi Binebine comes to Marrakech every morning to get isolated in his vast workshop located at the literal wing of the Maqam, Mourabiti, the holder of the site and the wise man as we would call him, gets engaged in full preparation, without disturbance, for his upcoming exhibit to be held at Dar Chrifa. He is not indifferent to the fact that Al Maqam is a traditional house not a conventional art gallery.
We are two guests at our friend Mourabiti; there is Khalil El Gharib and me. The intersection of three completely different looks on a job that looks really significant, if not substantial. This could lead to an exciting endeavour between a spoken word, and a written one, or keeping silent that is something other than refusing to talk and so increasing doubt, thinking of what is to be seen. It must be stressed that the challenge of this exertion has matured in dimension.
During the many conversations I had with Mourabiti, It was revealed to me that the venue is under the precursor of Ibn Arabi Sheikh Al Akbar, whether you are as convinced as I could be; Sufism is by no means a trend yet indeed, it is becoming tempting, as a thought under a dress not the «kharka» but instead, a purportedly intellectual discourse. Just as there is no way to seize this as an excuse, we are faced with a more complex situation prodding on us to raise many questions and clarify a few things. Although Mourabiti carries some understanding, he is not very much knowledgeable about Ibn Arabi. There is something about the experience, an impregnation of which the outlines are difficult to identify. We have spoken at length together. I think I can say that in this movement of Sufism, there is a sign of complete freedom that is as important to his work as an artist, a release from coercion even including the order of religious belief.
The popular base of Sufism marked by so many spiritual teachers throughout the ages in our country integrates components of freedom, opening eyes towards whatever is novel. We are almost in the cherished closeness to
Mourabiti. It is level-headed how this craving was current in Morabiti’s head, well before going to Damascus; he may have jotted down the journey leading to the work that is before us today. I may be wrong and pursuing a false track in saying that Mourabiti, and within his enthusiasm, wanted to build a shrine in honour of Ibn Arabi: to build a great tomb, virtual, and repetitive in all his paintings, as if attempting to start all over again. In this work, there is a stroke of architecture, and almost a real fever of an architect. Despite his disappointment in Damascus, he accumulated drafts and sketches of what would be the future works of various sizes and then he revisited, developed and expanded in the same mode after returning to Tahanaout. This is a challenge that has embarked on opening a number of questions on the same field of artistic creation and in any case refuses any conclusion.
Edmond Amran EL Maleh