Texte
2008
Souné Prolongeau-Wade
« Au fond du bleu, il y a le jaune
et au fond du jaune, il y a le noir,
du noir qui se lève
et qui regarde,
qu’on ne pourra pas abattre comme un homme
avec ses poings »
Guillevic
Dans le creux d’un vallon sur lequel flotte le parfum des olives d’un pressoir voisin, Mourabiti construit, loin vacarme urbain, une œuvre attachante et très personnelle.
Avec une grande liberté et une extrême maîtrise des matières et de l’espace, il nous offre sa vision en mouvement d’un monde, le nôtre, dont les repères traditionnels à peine suggérés, sont peu à peu éradiqués par l’intrusion de la « pensée unique ».
Finie l’époque où l’œil se posait sur la courbe souple d’une coupole, vagabondait sur les toits vernissés des palais et les joyeuses terrasses des médinas, se désaltérant au passage, de l’ombre d’un bouquet de palmiers. Une forêt d’antennes griffues a désormais interposé son tapis de barbelés entre l’horizon et nous. Ces « râteaux » qui apportaient une ou deux «chaînes » - prémices de notre prison mentale - auraient fini par trouver une certaine poésie: plantés au bout de perches incertaines, vacillant sous l’assaut du vent, rouillés par la pluie, ils finissaient par servir de perchoir aux tourterelles et moineaux, se déglinguant au fil des tempêtes. Pour un peu on serait ému l Mourabiti, avec un solide humour, n’hésite d’ailleurs pas à faire parfois fleurir une rose, futaille de fer emmêlé, au sommet d’une antenne, transformant malicieusement le mausolée dont elle jaillit en gros insecte somnolant. Mais il ne faut pas s’y fier…
A ces antennes fragiles, on substitua la « parabole ». Pas celles des évangiles ! Mais cette courbe, dit le dictionnaire, qui décrit un projectile lancé dans le vide. Nous voilà loin du monde sensible, fut-ce celui des insectes !
Les antennes nous permettaient au moins de préserver un certain périmètre d’autonomie.
Désormais, place aux paraboles désormais aux 500 bouches, étalant leurs corolles d’un blanc clinique sur nos toits transformés en porte-avions militaires.
Au milieu de ces champs de bataille, Mourabiti met en scène, avec beaucoup de tendresse des fragments de résistances de nos repères familiers : créneaux décollés de leurs remparts, morceaux de stores rayés, ocre des murs d’une ville autrefois chantée par les poètes…
Et l’homme dans tout çà ? Dissous, on ne le trouve plus, au hasard d’une toile, qu’au sein de groupes compacts, anonymes, que Mourabiti extrait de vieilles photos qu’il glisse subrepticement entre les murs d’un aratoire.
Libre, joyeux, le pinceaux de Mourabiti danse sur la toile, s’envole, et nous dit sans pathos cette réalité : celle d’un monde qui se défait…et se défend. Car Mourabiti, homme généreux et heureux de vivre, n’annonce pas l’Apocalypse. Il nous dit juste que la lumière est là, mais que le goudron le cerne, que la vie est là, mais que nous pourrions l’habiter autrement.
Avec audace et lucidité, à Tahnaout, au pied de l’Atlas enneigé, Mourabiti résiste et fait le pari d’un monde encore vivable. Entre rêve et réalité, rieur et précis il mêle ses pigments et s’élance à la conquête de l’espace de nos défaites et de nos espoirs..
Souné Prolongeau-Wade
«Within blue, there is yellow
and within yellow, there is black,
a black that goes up
to have a look,
and witness how we cannot strike like a man
with one’s fists”
Guillevic
Right in a valley where the scent of olives hover from a nearby oil press, Mourabiti has built a charming and individual architectural project, away from the urban clamor.
It is with great freedom and extreme mastery of materials and space that Mourabiti tries to offer his vision of a world in perpetual motion. The traditional benchmarks barely suggested, but gradually eradicated by the intrusion of the „single thought”.
Gone are the days when the eye would focus on the soft curve of a dome than wander along the glazed palaces roofs. Admiring cheerful medina terraces, and take a refreshing break, within the shade of a clump of palm trees. Instead, a forest of antennas has now clawed its stack of barbed wire between the horizon and us. These „rakes“ that would bring home one or two „TV channels“ the early fruits of our mental confinement. These antennas have yet finally found some poetry, wavering under the assault from the wind, rustled from the rain; they eventually serve as a perch for doves and sparrows vacillating over the storms. With a strong sense of humor, Mourabiti did hesitate to make a rose bloom over the dome, a tangled iron on top of an antenna, mischievously turning the mausoleum from which it springs like a sleeping insect. Yet, we should not be misled, for replacing these fragile antennas, dishes were set up.“ Not those of the Gospels! But the dictionary describes them as a projectile launched in a vacuum. We are far from the sensible world, be the world of insects!
Antennas would enable us at least to preserve a certain spot of autonomy.
Now up to 500 dishes are being displayed with their white petals over our roofs turning them into military aircraft carrier.
Amidst these battlefields, Mourabiti stages, with great tenderness, fragments of our familiar landmarks as a sign of resistance: detached pieces of striped awnings, ocher walls of a city once celebrated by poets…But where is man in all of this? Has he been liquefied, cannot we find him at random on a canvas within anonymous groups that Mourabiti pulls out from old photos he has sneakily slipped between the walls of tillage. Free and joyful, Mourabiti’s brushes dance on canvas, fluttering, and saying without pathos that the reality of a world which is both falling apart and coming together . Mourabiti acts as a generous and happy man, never preaching the Apocalypse. He just tells us that luminosity is there, and the tar is around, that life is there, but we could live differently.
With boldness and lucidity, right in Tahenaout at the foot of the snowy Atlas, Mourabiti resists and wagers on an even livable world. Between dream and reality, laughing and precision, he mixes his pigments and rushes to conquer the space our failures and our hopes.
Souné Prolongeau-Wade