Texte

Mohamed Nedali

Mourabiti ou l’aspiration vers l’infini

La koubba est le troisième sujet du Cycle de la Courbe - après celui de la parabole et du sein - sur lequel Mohamed Mourabiti travaille depuis une dizaine d’années. Il y a consacré bon nombre de toiles ainsi que des lithographies, des sculptures et des gravures. A ce choix, certains critiques d’art ont trouvé une explication toute faite dans l’enfance de l’artiste-peintre, ce dernier étant natif de la médina de Marrakech - cité réputée pour ses nombreux saints et autant de koubbas maraboutiques que les femmes d’un certain âge visitaient, visitent encore, régulièrement. Aussi le choix de cette thématique par l’artiste ne serait-il que l’effet d’une réminiscence, le souvenir d’un passé lointain où l’enfant Mourabiti se rendait aux saints de la médina en compagnie de sa grand-mère.

Cette explication me semble réductrice à bien des égards. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer l’ensemble des toiles du peintre sur le sujet : bon nombre parmi elles représentent en effet des coupoles maraboutiques juives, berbères ou même païennes ; d’autres côtoient, sur le même espace, des édifices de culte différents (mosquée, église ou synagogue) ; d’autres encore font l’objet de collages ou d’approches à la limite du surréalisme : mausolées de guingois, coupoles arrachées ou suspendues dans le vide, dômes surmontés d’antennes de télévision ou de nids de rapaces, koubbas en forme de cornet de dragées à l’envers, d’autres couleur de la nuit ou dotés de racines ou, plus curieux, en forme de moine bouddhiste en méditation… Certains marabouts n’ont ni accès ni fenêtre, on dirait l’œuf de quelque bête préhistorique ; d’autres sont munis d’entrées multiples, en dents de scie, en forme d’œil… ; quelques-uns semblent surgir de nulle part, projetés par quelque force surnaturelle dans un univers hostile ; d’autres encore tanguent sur leur base, donnant ainsi l’impression de se battre contre le déchaînement des éléments de la nature comme des bouts de chandelle dans une nuit de tempête…

Le choix du tombeau maraboutique comme thème ne peut, par conséquent, s’expliquer par une simple réminiscence de l’artiste-peintre. A vrai dire, c’est là une interprétation hâtive qui dessert l’artiste et dévalorise son œuvre.

Ayant suivi le travail de Mohamed Mourabiti depuis qu’il a élu domicile ici, à Tahanaout, je sais de science certaine que ses œuvres, bien que sobres et dépouillées, sont toujours le résultat d’un long investissement intellectuel, affectif et spirituel. Rien n’y est jamais laissé au hasard, même les détails techniques les plus infimes : les sources de la lumière, le point de vue, les tons… Le travail de l’artiste sur les Koubbas des saints s’inscrit dans une démarche longuement et mûrement réfléchie. Ses toiles sur le sujet expriment une vision personnelle de l’existence, une vie sous-jacente, intérieure, lumineuse. C’est un voyage en soi que l’artiste-peintre accomplit, ou tente d’accomplir, à travers un ingénieux brassage des croyances pratiquées dans le pays, un voyage qui dépasse la sensorialité, transcende la religion unique et exclusive. Plus qu’une expression, c’est une quête de la spiritualité, une aspiration vers l’infini dans ce qu’il a de plus insondable et de plus apaisant à la fois. Face aux œuvres de Mourabiti sur les mausolées des saints marocains, j’éprouve toujours quelque chose de semblable à un ordre spirituel de l’existence, une harmonie divine, un fil de l’intention transparent, un chemin de lumière dans le royaume de l’esprit ; je sens s’éveiller en moi la nostalgie d’un passé décidément révolu : celui de mes ancêtres numides, où juifs, musulmans et chrétiens vivaient en osmose et symbiose.

Mohamed Nedali

Mourabiti, an aspiration towards the infinite

The koubba (dome) is the third topic within the overall series on theme of the curve that Mohamed Mourabiti has been focusing on for more than a decade. This shift came up after he had worked on satellite dishes as well as on the breast of art mediums. He used the dome in many of his paintings, lithographs, sculptures and prints. To this effect, some art critics have found a sound elucidation travelling back into the painter’s boyhood. Being a native of Marrakech, a city  known for its many saints, and marabou domes the same  domes that  elderly women would regularly visit shrines makes  the artist’s choice of  theme e reflection of his own past, a memory  when little Mourabiti would himself visit shrines in the Medina alongside  his grandmother.

This elucidation seems unsophisticated in many ways. A matter of making sure, we take a look at the work of art: many among the paintings also encompass Jewish, Berber or even pagan domes. Others are set side by side, on the same space or structures of different types of worship (mosque, church or synagogue); others are subject to collages or approach the edge of surrealism. There are mausoleums, lopsided domes, either pulled or suspended in a vacuum. Domes topped by TV antennas or raptor nests, upside candies ,horn-shaped,  and others are dressed with the color of the night  having roots or curious shaped Buddhist monk in meditation

... Some marabous are displayed with no entrance or window. One could claim it is the egg of a prehistoric beast. Others shrines are portrayed with multiple entries such as a jig saw teeth and eyeball format; some seem to spring from nowhere, projected by some supernatural force in a hostile world; others precariously balanced on their base, giving the impression of fighting against the harshness of the elements of nature  like candle-ends on a stormy night. `

The choice of the marabou tomb theme cannot therefore be interpreted through a sheer reminiscence of the artist. In fact, this is a hasty elucidation that although can serve the artist but also undervalue his artwork.

I had the opportunity to track Mohamed Mourabiti’s work since he took up residence here in Tahanaout; I know that some of his art, though seemingly simple and bare, are always the result of a long intellectual investment, both emotional and spiritual. Nothing is ever left to chance not even the smallest technical details: light source, perspective and shades. The work of the artist on marabou domes “Koubbas” is part of a long painstakingly and well thought-out process.

His paintings on this topic express a personal vision of life, a bright interior underlying, it is a journey in itself that the artist does, or attempts to do, through a knowledgeable incorporation of faiths practiced in the country. It’s a voyage beyond the senses, beyond the sole and exclusive religion. It is more than an expression, it is a quest for spirituality, aspiration towards the infinite in this it’s most unfathomable and more soothing at once.

Once in front of Mourabiti’s artworks on the mausoleums of Moroccan shrines, I still feel something like a spiritual existence, divine harmony, a wire from the transparent intent, a path of light in the realm of spirit; I feel an awakening in me and a longing for a past decidedly over: the one of my Numidia ancestors, where Jews, Muslims and Christians used to live in harmony and symbiosis.

Mohamed Nedali