Texte
Talal Moualla
Entre la vérité et sa manifestation, se trouve un isthme à caractère illusionniste, où vit notre artiste Mohammed Mourabiti. Dans toutes les rencontres, à plusieurs reprises, avec l’œuvre et l’artiste, je me trouve devant une voix à peine exprimée, une âme voyante contemplant l’espace. Son aura ne cesse de cacher toute une nuit de souffles imprégnés d’âmes, de cultures et d’esprits ne se penchant que devant le charme de la création.
Mes rencontres avec les travaux de Mourabiti, me révèlent à chaque moment un artiste émanant de son travail, comme si ses racines nomades s’étendaient profondément dans la résurrection des couleurs, son vrai pays, avec ses confins étendus dans l’univers, dans l’espace sacré atteint par l’appréhension du contact avec le monde, qui contient tout ce qui est sacré. C’est le sentiment que j’ai eu vraiment en contemplant son œuvre voyageant entre le rouge, le blanc et le noir, comme dans d’un voyage métaphysique qui porte le nom de la beauté multiple, des symboles conduisant au-delà de la privation du monde de son existence. C’est dire que la peinture de Mourabiti concrétise la transparence de l’esprit et de la connaissance mêlée avec la passion humaine dans tous ses états.
C’est un voyage qui pousse les sens à sortir de sa matérialité, afin d’entamer un voyage verticale entre le bas et le haut, le haut et le bas. Il s’agit bel et bien d’une dance rythmée par les cadences de l’opposition que contient l’œuvre de Mourabiti épris par les mystères et la noirceur, le caché et l’apparent à la recherche de la séduction et de l’espace urbain, et le charme des valeurs cognitives. C’est pour cela que ses surfaces picturales, avec tout le désir de dépassement qu’elles ont, restent à l’abri des significations profanes. Il s’agit, en effet, d’un foyer de l’absolu, incarné dans un eternel voyage entre la bédouinité et de l’urbanité. La différence n’est pas alarmante entre le rouge de la peau et le rouge du sol, les deux composant un mystère des valeurs, et donne l’équilibre de l’intimité profonde des contenus, et fait habituer le corps à ouvrir les portes de la technicité, à voir sa concrétisation avec un cœur attaché à sa nature.
La couleur blanche s’ouvre sur des formes guidées en mouvement par le peintre Mourabiti, blancheur dont le message va au-delà du sens des formes. En permettant au visiteur de capter la morphologie, la configuration des ses foyers et de ses blocs, il cherche à signer son œuvre en créant ce qu’on peut appeler une voix visible faisant parler le caché, l’invisible, dans une joyeuse effervescence nourrie aussi bien par l’univers onirique de l’artiste que par sa pétillante présence.
Des voix qui font écho du sacré mystique. Chez Mourabiti, la tendance mystique est à cheval entre les deux expressions d’art, avec un intérêt accru pour la forme. Il s’agit de pénétrer les arcanes d’une mystique hautement référencée au moyen d’une plastique, précisément d’une palette nourrie d’un humus et d’une minéralité à relents spirituels, matière des origines à la base de l’art de Mourabiti depuis le début de sa carrière. Le tableau donne sur un invisible pressenti ascèse et obsécration rituelique; l’abstraction des formes, procédé consommé chez l’artiste, fait entrevoir, graphiquement parlant, un univers qu’éclaire un blanc métaphorisé pureté d’âme. Les tons, pris à ras de leur matérialité, concourent à harmoniser un rendu condensé de signes et d’allusions chromatiques, qui renseignent, à s’y méprendre, sur une étrange « reconversion » morale de la peinture de Mourabiti, lequel nous a habitués jusqu’ici à une autre dialectique picturale.
Tout en prolongeant une première « phase verticale » dans laquelle l’œuvre se soutient d’une architecture complexe du visible, d’un dialogue entre le haut et le bas, le ciel et la terre, les derniers travaux nous engagent dans une horizontalité où le blanc irradie la surface de la toile. Le blanc, couleur spirituelle par essence, renvoyant à la pureté, à l’immaculation, se trouve ici, parfois « moucheté », des fois lesté par d’autres couleurs : le bleu indigo, le jaune, le vert, l’ocre, le rouge. Mais le blanc est une matière fragile, plus proche du plâtre. Il serait intéressant d’entreprendre un rapprochement entre le blanc dans le travail de Mourabiti, couleur apaisante, sereine, et celui de certaines expériences musicales, poétiques, mystiques, pour y saisir ce moment dans lequel l’énergie du neutre et de l’éclaircie d’une note musicale, d’un phrasé poétique ou mystique, procurent quiétude, silence et ravissement. L’horizontalité de cette seconde phase comme déploiement vers le dehors, comme silence et éclaircie appellent le voyage et le déplacement. L’œuvre de Mourabiti nous y engage sur leurs chemins écartés, escarpés et toujours
Ce qui distingue les formes architecturales en tant qu’éléments visibles, avec leurs dimensions variées, leurs superpositions, leurs profondeurs. Cet univers architectural été savamment mis en scène dans l’œuvre du peintre Mourabiti, qui se veut un mélange des techniques, d’art et d’histoire. Par la couleur, souvent rouge brique, les toiles de Mourabiti renvoient à la ville ocre : Marrakech. Dans ses dernières peintures, il a évolué vers des tons plus cristallins, moins fougueux en trouvant un blanc qui dote d’un surcroît d’éclat ses tableaux. Son attrait pour la lumière revêt un caractère mystique dans ses dernières peintures, dominées par le noir. N’est-ce pas là toute la grandeur mystique ?
Les tableaux de Mourabiti se caractérisent par une économie dans l’utilisation des couleurs et un traitement équilibré de la surface de la toile. Dans un style dépouillé, il cherche à contextualiser des faits courants en mettant l’accent sur leur caractère vulnérable, d’où son travail sur les antennes paraboliques, sur les murs et tout récemment sur les coupoles maraboutiques.
L’œuvre de Mourabiti reflète son âme migratoire à travers les connaissances, les temps et la géographie, à la recherche de la quintessence de l’abstrait expressif, de la célébration de la mémoire du silence et de l’isolement à l’abri de l’attractivité de la coupole. L’abstraction que pratique Mourabiti devient de la sorte une véritable seconde nature ; on n’y décèle guère de clichés, ni de parodies, ni de mimétisme, mais une idiosyncrasie artistique déterminante. Autrement dit, c’est le langage plastique « naturel » de Mourabiti.
Dans le cahier de l’âme, avec toute sa grandeur hautement exprimée, il note ses migrations depuis les origines pour poser la vraie question, celle de l’existence humaine.
Si les thématiques abordées par Mourabiti se ressourcent en gros dans le réel comme donnée mentale plus que visuelle, tels la terre, les marabouts d’ici et d’ailleurs, les antennes paraboliques, la femme comme concept évoquant la sensualité et comme manifestation onirique liée à la vie des instincts, l’architecture comme lieu de projection de l’être humain, approchée tel un objet de design, ce qui ressort de ses réalisations atteste d’une volonté de sublimation incontestable chez cet artiste raffiné et sensitif.
Talal Moualla
Traduit par Mustapha Ennahhal