Texte

Maati Kabbal

Mourabiti et la scène diffractée du sacré

Quand il est arrivé à la Cité Internationale des Arts de Paris, venant de ce haut lieu de créativité qu’est Al Maqam, Mohamed Mourabiti déposa, tel un nomade errant, dans l’atelier 1410, son viatique essentiel: sa mémoire, son corps et son désir d’étreindre l’altérité. Au cours des 9 mois que dura son séjour, Tahanaout prit place et corps sur Seine dans cet espace chargé d’histoire. Il faut dire que le peintre n’était sous l’emprise d’aucune nostalgie rance, mais seulement animé par le souci d’ouvrir le champ du Natal vers ce Dehors emblématique, synonyme d’Occident, objet de fascination pour les uns et de répulsion pour d’autres. Pour travailler le croisement entre ces pôles (Orient- Occident- Maghreb), la mémoire de cet Atelier lui servit de première passerelle ; vu que d’illustres artistes marocains, tels Mohamed Kacimi, Farid Belkahia, Tibari Kantour, Drissi et bien d’autres y ont séjourné et travaillé. Attentif à la question de l’atelier comme réceptacle, mémoire en dialogue, laboratoire d’alchimie secrète, scène ouverte, Mourabiti investit donc cet espace pour le transformer en un lieu où a lieu en permanence le corps à corps avec la toile. Comme le Maqam, l’atelier prolonge ici le corps du peintre, ses rêves, ses extases, enrichit ses visions de l’art, les élargit à d’autres expériences internationales dont Paris est l’un des principaux creusets.

Dans le travail de Mourabiti, il faudra désormais compter avec ce « moment parisien », qui s’inscrirait dans ce que le peintre qualifie lui-même d’« expérience du voyage », à savoir un déplacement de l’œil et du geste vers d’autres territoires, d’autres visions, de nouvelles représentations et de nouveaux langages plastiques, plus nomades et davantage travaillés par la trace et le palimpseste.

Tout en prolongeant une première « phase verticale » dans laquelle l’œuvre se soutient d’une architecture complexe du visible, d’un dialogue entre le haut et le bas, le ciel et la terre, les derniers travaux inscrivent l’œil et le geste dans une horizontalité où le blanc irradie la surface de la toile. Le blanc, couleur spirituelle par essence, renvoyant à la pureté, à l’immaculation, se trouve ici, parfois « moucheté », des fois lesté par d’autres couleurs : le bleu indigo, le jaune, le vert, l’ocre. Mais le blanc est une matière fragile, plus proche du plâtre. « Matière sans poids… la plus périssable, la plus spirituelle » comme l’écrit Sartre à propos du travail d’Alberto Giacometti. Il serait intéressant d’entreprendre un rapprochement entre le blanc dans le travail de Mourabiti, couleur apaisante, sereine, et celui de certaines expériences musicales, poétiques, mystiques, pour y saisir ce moment dans lequel l’énergie du neutre et de l’éclaircie d’une note musicale, d’un phrasé poétique ou mystique, procurent quiétude, silence et ravissement. C’est en cela que la peinture de Mourabiti n’est pas une peinture bavarde, mais quiète et silencieuse. Habité par les formes du sacré, notamment les coupoles et les marabouts, (on ne saurait d’ailleurs réduire les derniers  travaux à cette seule thématique), le peintre leur fait subir un traitement déconstructiviste. Non pour les débarrasser de leur sacralité mais pour en faire des espaces habillés par le verbe humain aussi bien que divin. Dans un Marabout, ça parle et ça n’arrête pas de parler, même le silence y est éloquent ! « Un Marabout est le produit du langage et du désir» relève Mourabiti. Dans ces travaux, la scène diffractée du sacré s’offre à notre regard à partir de traits qui figurent et défigurent en même temps : Marabouts obliques, fendus, inversés ou renversés, pâte du papier journal transformée en offrandes disséminées dans le blanc immaculé de la toile.

L’horizontalité de cette seconde phase comme déploiement vers le dehors, comme silence et éclaircie appellent le voyage et le déplacement. L’œuvre de Mourabiti nous y engage sur leurs chemins écartés, escarpés et toujours en bifurcation. •

Maati Kabbal

Journaliste-écrivain.

Responsable des jeudis de l’IMA

Mourabiti and the scattered scene of the sacred

When he arrived at the Cité Internationale des Arts in Paris, coming from this high center of creativity that is Al Maqam, just as a wandering nomad, Mohamed Mourabiti laid down in the 1410 workspace his essential asset: his mind, his body and his desire to embrace otherness.

During the nine months of his stay in Paris, Tahanaout took over as a place and a body upon the Seine River, right in this historic area. It must be said that the painter was not under the influence of any reeking nostalgia, but instead, he was only animated by the desire to broaden up the scope of the Native to this iconic Outside synonymous with the West, an object of fascination for some, and of repugnance for others. For the purpose of working crosswise between these poles (East-West-North Africa), the memory of this venue has served him as a first gateway; since renowned Moroccan artists such as Mohamed Kacimi, Farid Belkahia, Tibari Kantour, Drissi and many others have stayed there and worked. Attached to the issue of the workshop as a receptacle, as memory through dialog, secret alchemy laboratory, open stage, Mohamed Mourabiti invested this space to turn it into a place where he would permanently get into a clinch with the canvas

Just like Al Maqam, here the workshop continues the artist’s body, his dreams, his trances; it enriches his visions of art, expands them to other international experiences of which Paris is one of the main crucibles.

In the work of Mourabiti, this „Paris period“ is to be reckoned with, and should be included  into what the painter calls a „travel experience“, that is a movement of the eye and gesture towards  other territories, other visions, new representations and new artistic languages, more mobile and more worked by the trace and the palimpsest.

While extending the first „vertical phase“ in which the work is sustained by a complex architecture of the visible, of a dialog between top and bottom, heaven and earth, the latest works fit the eye and a gesture in which the white horizontal illuminates the surface of the canvas. The white is a spiritual color by essence, referring to purity, and spotlessness; it is here, sometimes „speckled“, some other times weighted with other colors: such as indigo blue, yellow, green, or ocher. But the white is a fragile material so close to plaster. „A weightless Material”. It is the most perishable, and most spiritual“ as Sartre put it when writing about the work of Alberto Giacometti.

It would be interesting to undertake a comparison of white in the work of Mourabiti, soothing color, serene, and certain musical, poetic, mystical experiences, to seize the moment in which the energy of the neutral and weakening of a musical note, a mystical or poetic phrasing, provide peace, quiet and delight. This is where Mourabiti’s painting is not garrulous, but serene quiet and silent. The artist being haunted by the forms of the sacred, especially the domes and marabous (we indeed cannot reduce the last works to this single theme); the artist subjected them to a deconstructive treatment. This was not to rid them of their sanctity but to make spaces dressed with human as well as divine word. At a Marabou, a whole discourse is on, it never stops, and even silence is eloquent! „A Marabou is the product of language and desire“ notes Mourabiti. In this work, the diverted scene of the sacred is open to our gaze through traits that appear and disfigure at the same time: Slanted Marabous, split, reversed or overturned, newsprint pulp transformed into offerings scattered throughout the immaculate white of the canvas.

Horizontality of this second phase is considered as an outwards deployment, both as silence and lucidity, and as a call to travel and to go places. The work of Mourabiti leads us to tracks set apart, often steep and always bifurcation paths.

Maati Kabbal

Journalist-writer.

person in charge of Thursdays of IMA