Texte

2007

Gustave de Staël

Maintenir l’équilibre précaire, la légèreté de la peinture et le ton unique

La joie indicible de voir, une fois de plus, quelqu’un s’aventurer dans l’espace de la peinture, s’y tenir avec une sobriété de moyens et donner les preuves d’une nouvelle profondeur. Cela souligne à quel point, par la mobilité de son esprit créatif, Mourabiti est le contemporain des questions essentielles que se posent les peintres aujourd’hui.

L’enchaînement de voir l’aventure de la peinture se poursuivre, précisément à partir de ce lieu retiré où il a décidé d’installer son atelier. Dans cet endroit les gestes et les signes d’une vie ancestrale se trouvent au cœur des problèmes picturaux. Faire vivre la peinture dans ce creuset ne va pas sans rencontrer le passé et y accorder son propre sens de l’espace.

Mourabiti a choisi d’inscrire sa peinture dans un mouvement libre, de tradition abstraite où l’on sent la plongée des couleurs et de la manière dans une profondeur marocaine.

Exister dans ce lieu par la peinture relève d’un privilège que le ciel n’accorde qu’aux silencieux. Il arrive que l’espace leur ouvre tout grand les bras et leur permette d’y voler.

Notre peintre a décidé d’être plus sobre encore, de s’en tenir à une palette nourrie de peu de tons, par delà les blancs et les noirs, afin de serrer au plus près son objectif.

Quel « en-soi » ne faut-il pas pour s’abstraire de la force de la nature qui nous entoure, quel monde de plénitude, ne possédons-nous pas alors pour tenir devant la force implacable de la beauté ! Quelle plongée dans les noirs de la palette! Quel rapport étroit à l’histoire de l’humanité ne faut-il pas pour avancer d’une foulée continue tout en gardant sa propre mesure ! Est-ce de buter ainsi sur nos limites qui nous incite à donner toujours plus de profondeur, de la charpente à l’histoire que l’on tente de raconter?

Comment ne pas voir le caractère essentiel de ces éléments qui jonchent le sol et forment le paysage. Eléments que l’on retrouve en formes suspendues dans les peintures de Mourabiti où l’espace de la toile semble confondre le plan d’une nature morte et celui d’un paysage. Comment ne pas prendre leçon de ces matériaux rudimentaires qui se répondent dans l’air de la toile, frères des pigments incandescents qui gisent sur la palette du peintre.

On dit qu’il habite à l’écart du monde, à proximité des montagnes nues et saillantes. Est-ce du haut des sommets de l’Atlas que s’élancent par taches et à-plats les blancs de ses peintures ? Parfois il semble neiger à l’aplomb des noirs qui retiennent ses tableaux.

Est-ce désert ou plutôt des endroits troubles de la rue d’où remontent certains bruns rompus.

Ces tableaux tiennent à la fraîcheur avec laquelle la peinture introduit les formes, les propose de front, les fait vaciller, en découpe l’espace et continue d’aiguiser une nudité qui laisse la question grande ouverte et les couleurs toutes à leur révélation.

Ce qui meut de sa peinture est une fragilité qui anime la source de ses infinis rebondissements. Dans cette peinture sourd une étrangeté liée au caractère du pays, à ses matières mêlées, souterraines. A y regarder de près on réalise qu’elle tire ses origines de ces ombres incertaines et sombres qui ont été fécondes dans l’imaginaire des peintres du Maroc.

La peinture semble nous dire : « ici, loin de tout, dans ce paysage sec, à la beauté vertigineuse comment ne pas laisser affleurer sur la toile les hésitations, laisser libre cours à la sensibilité du trait. Comment ne pas saisir les formes avec une désinvolture apparente, avant que d’être écrasé par tant de beautés lumineuses ? »

Créer un monde clos et plein, laisser des traces de peinture, dans ce pays où elle est partout, ici et là, sur les murs, les portes et jusque le tronc des arbres. Pays si grand par l’imagination de la main qui s’inscrit partout.

C’est parce que quelque chose n’est pas posé « définitivement » dans ce beau Maroc qu’il reste la toile de fond des artistes peintres. Que la tente est encore sous jacente à la maison, que tout peut être changé très vite, que grâce à cela l’esprit peut ouvrir des champs libres et continuer à se déplacer sur les chemins de la créativité.

Gustave de Staël

Directeur de l’institut Français du Nord

juillet, 2007

Maintaining the delicate balance, the Painting weightlessness and the single tone

This is all about the unspeakable joy of seeing once again; of someone venturing into the space of the painting, holding with sobriety of meaning and providing evidence of a new depth. This highlights how Mourabiti has become the contemporary of the key issues posed by all painters today, through the mobility of his creative mind.

The fact of witnessing the adventure of painting is quite an accomplishment! This stems precisely from this secluded spot where he’s decided to set up his workshop. Here, gestures and signs of ancient life become the heart of pictorial challenges. Creating in this melting pot doesn’t occur without experience from the past and gives it its own sense of space.

Mourabiti has chosen to register his paintings in a free movement of abstract tradition. Where one would feel the depth of colors and matter in a truly unique Moroccan style.

To exist within this location through painting is a privilege that the sky makes available only to the silent. Sometimes the space opens its arms wide, and allows them to fly.

Our artist has decided to be even more efficient and stick to a little palette fed with only a few tones, beyond the white and black, keeping closely to its objectivity.

What in-itself is it not necessary to refrain from the force of nature that surrounds us. A world of wholeness, that forces us to stand before the implacable force of beauty! What a dive in the black palette! What kind of relation to the history of humanity shouldn’t we overtake while still keeping one’s own measurement! Is it only through stumbling over our limits that encourages us to provide more depth, and outline the story we are trying to tell.

We see the essential nature of these items scattered on the ground and creating the landscape. The elements found in suspended forms within Mourabiti’s paintings where the space of the canvas seems to get confused with the display of a still life and that of a landscape. We draw a lesson from these rudimentary materials that meet in the space of the canvas and twining with glowing pigments that lie on the painter‘s palette.

They say he lives away from the world, near bare and protruding mountains. Is it the top of the Atlas Mountains that soars in the spots and flat-whites of his paintings? Sometimes it seems that snow draws vertically in line with black that hold his paintings.

Is it this desert or rather disorder, that places the street from which stems some broken brown back?

These art works reflect the freshness with which the painting introduces the different shapes, proffering them upfront and flickering and continues to sharpen bareness that leaves the big question open and all the colors to their revelation.

There is an apparent weakness that moves his painting and drives the source of his endless twists. In this dull paint, there is a strangeness-related character of the country, its underground mixed materials. Once taking a closer look, we comprehend that it has its origins in these undecided and dark shadows that have been fruitful in the imagination of painters in Morocco.

The painting seems to say, here, away from everything in this dry landscape and dizzying beauty, flush the canvas hesitations, unleash the sensitivity of the line. How not to enter forms with apparent dispassion before being crushed by so many bright beauties”

A great endeavour is to create a fenced overflowing world and leave scripts of paint, in a country where it is all over the place, here and there on the walls, on doors and even on tree trunks. So big in imagination is this land of many hands that it can fit everywhere.

This is all because something is not set definitely “in gorgeous Morocco and what does remain to be accomplished is the painters’ backdrop. The tent is still underlying home, everything can be changed very rapidly. Thanks to all of this, the mind can open free fields and continues to move on the path of creativity.

Gustave de Staël

Director the Northern French Institute

July, 2007