Poèsie
Adonis
-I-
La toile est venue à la maison
En quittant le giron de la terre
En elle la lumière était portée
Sur le bras de l’ombre
Et la mystique du caché
Couvrait la matérialité de l’apparent.
-II-
Dans la toile la terre
Est la couleur au féminin.
-III-
La jument que monte l’apparent
Dans ses pérégrinations à l’intérieur de la toile
Marche sur un chemin ombragé par les voûtes du caché.
-IV-
Aimerais-tu être l’ami
De la toile d’al-Mourabiti ?
Il te faudra donc savoir
Comment donner à la technique une saveur naturelle
Comment être sensible et perméable
Comme si tu avais d’autres sens à l’intérieur de tes sens.
-V-
Ecoutez la toile :
A l’apparent le caché parle en susurrant
Et à l’espace, en haussant le ton.
Contemplez-la :
Les couleurs ne semblent-elles pas habiter
La demeure du soleil
Où la lumière est désir
Et l’espace un lit ?
Ne voyez-vous pas comment l’encre de la terre
Se dénoue, une écharpe
Sur les épaules de l’espace ?
-VI-
Interrogez cette fleur de jasmin
Sur le blanc, le bleu, le rouge et le noir :
Si mystérieuse soit la couleur
Les fleurs et les plantes la comprennent.
-VII-
Aimeriez-vous maîtriser cette lecture ardue
De l’unité de l’air, de l’eau, du feu et de la terre
Dans la toile d’al-Mourabiti ?
Il vous faudra donc apprendre à lire les traits du sol.
-VIII-
Dans ce que vous contemplerez et lirez, vous verrez
Que l’identité de l’art chez al-Mourabiti
C’est aussi inventer sans cesse la sienne.
Comme s’il était le lieu
Qui porte la chemise de l’air.
-IX-
La lumière se couvre de la mystique de l’ombre
L’ombre se dénude sous la voûte de la lumière.
-X-
Vers où voyage ce tableau
En étreignant l’enfance de la matière ?
* Traduit de l’arabe par Antoine Jockey